Notre-Dame-de-Paris : la description de Quasimodo
Notre-Dame-de-Paris : la description de Quasimodo
I, 5, Victor Hugo, 1831
L'analyse linéaire ci-dessous concerne l'extrait suivant :
Nous n'essaierons pas de donner au lecteur une idée de ce nez tétraèdre, de cette bouche en fer à cheval, de ce petit œil gauche obstrué d'un sourcil roux en broussailles, tandis que l'œil droit disparaissait entièrement sous une énorme verrue ; de ces dents désordonnées, ébréchées çà et là, comme les créneaux d'une forteresse ; de cette lèvre calleuse, sur laquelle une de ces dents empiétait comme la défense d'un éléphant ; de ce menton fourchu ; et surtout de la physionomie répandue sur tout cela ; de ce mélange de malice, d'étonnement et de tristesse. Qu'on rêve, si l'on peut, cet ensemble.
L'acclamation fut unanime ; on se précipita vers la chapelle. On en fit sortir en triomphe le bienheureux pape des fous. Mais c'est alors que la surprise et l'admiration furent à leur comble ; la grimace était son visage.
Ou plutôt toute sa personne était une grimace. Une grosse tête hérissée de cheveux roux, entre les deux épaules une bosse énorme dont le contre-coup se faisait sentir par-devant ; un système de cuisses et de jambes si étrangement fourvoyées qu'elles ne pouvaient se toucher que par les genoux, et, vues de face, ressemblaient à deux croissants de faucilles qui se rejoignent par la poignée ; de larges pieds, des mains monstrueuses ; et, avec toute cette difformité, je ne sais quelle allure redoutable de vigueur, d'agilité et de courage ; étrange exception à la règle éternelle qui veut que la force, comme la beauté, résulte de l'harmonie. Tel était le pape que les fous venaient de se donner.
On eût dit un géant brisé et mal ressoudé. Quand cette espèce de cyclope parut sur le seuil de la chapelle, immobile, trapu, et presque aussi large que haut ; carré par la base, comme dit un grand homme ; à son surtout mi-parti rouge et violet, semé de campanules d'argent, et surtout à la perfection de sa laideur, la populace le reconnut sur-le-champ, et s'écria d'une voix :
– C'est Quasimodo, le sonneur de cloches ! c'est Quasimodo, le bossu de Notre-Dame ! Quasimodo le borgne ! Quasimodo le bancal ! Noël ! Noël !
On voit que le pauvre diable avait des surnoms à choisir.
Introduction
Les Romantiques trouvent une source d'inspiration inépuisable dans l'époque médiévale : pensons à Walter Scott et son Lai du dernier ménestrel ou à celui pour qui il fut une source d'inspiration, Victor Hugo. Il place en effet son roman Notre-Dame-de-Paris, publié en 1831, à la fin du XVe siècle. Le lecteur y suit le parcours de Quasimodo, le sonneur de cloches de Notre-Dame qui vit à l’écart du monde malgré lui et ce, depuis son adoption par Claude Frollo, l’archidiacre de Notre-Dame. L’extrait que nous allons étudier est tiré du début du roman, alors que Quasimodo découvre pour la première fois le monde extérieur à l'occasion de l'Épiphanie du 6 janvier 1482. Ce jour de fête donne l'occasion à un carnaval où le peuple se choisit un pape des fous. Tous les candidats cherchent à faire la grimace la plus expressive possible. Quasimodo, bossu et laid, se présente à son tour. Voici l’effet produit. LECTURE
Cette présentation de Quasimodo est symbolique et permet demieux comprendre sa place parmi les hommes. Nous allons ainsi répondre à la question suivante : en quoi la difformité du personnage le met-elle à l’écart de la société humaine ? Nous analyserons la description du visage, qui s’étend du début à « la grimace était son visage », avant d’étudier le portrait en pied qui suit, jusqu'à « Tel était le pape que les fous venaient de se donner ». Enfin, nous observerons le face à face de Quasimodo avec la foule, de « on eût dit un géant brisé » à la fin.
Premier mouvement
Dans un premier temps, intéressons-nous à ladescription du visage. En utilisant la prétérition « nous n’essaierons pas de donner au lecteur une idée », le narrateur installe une relation de complicité avec son lecteur, il le prend à témoin et pique son intérêt. L’énumération des traits du visage de Quasimodo « de ce nez tétraèdre, de cette bouche en fer à cheval, de ce petit œil gauche obstrué » jusqu’à « de ce menton fourchu » permet d’insister sur ses défauts à travers des expansions du nom péjoratives. Par exemple, la métaphore « en fer à cheval » est dépréciative et participe à l’animalisation du personnage. Les adjectifs « petit » dans l’expression « petit œil » et « énorme » dans l’expression « énorme verrue » forment une antithèse : ces termes opposés mettent en valeur la disharmonie du visage et contribuent à présenter Quasimodo comme laid. De plus, la comparaison « comme les créneaux d’une forteresse » renforce la déshumanisation puisqu’elle assimile le bossu à un objet. Puis, le narrateur présente ce visage comme un « mélange de malice, d’étonnement et de tristesse », compléments du nom disparates qui finissent de faire du visage un élément surprenant, bizarre, voire monstrueux.
Deuxième mouvement
Deuxièmement, le narrateur fait le portrait en pied du personnage. Dans le deuxième paragraphe, la foule élit Quasimodo comme « pape des fous ». Le jugement est « unanime » : paradoxalement, cet adjectif montre que c’est la laideur de Quasimodo qui provoque l’adhésion des spectateurs. Le pronom « on » désigne la foule anonyme qui se presse autour de lui, or, le dénouement de la fête est surprenant, comme le signale la conjonction de coordination « mais » dans la phrase « Mais c’est alors que la surprise et l’admiration furent à leur comble ». En effet, « la grimace était son visage » : Quasimodo n’était pas déguisé. Premier mot de la phrase, « la grimace » est mise en valeur et envahit l’apparence du personnage : elle forme tout son « visage », comme l’indique l’attribut du sujet. Il y a une équivalence entre les deux éléments, comme si Quasimodo n’avait aucune expression humaine, ce qui renforce l’étymologie de son nom : quasi (presque), modo (homme). Associée à la phrase suivante « Ou plutôt sa personne était une grimace », cela forme un chiasme : encore une fois, le portrait de Quasimodo est déshumanisant. La description à thème éclaté qui suit
en fait un être infernal avec des cheveux « roux », couleur associée au diable, et une « bosse » monstrueuse. Le champ lexical de la machine apparaît alors : « système », « poignée », « faucille ». Il n’a plus rien d’humain, ni même d’animal ni d’organique. Tout le troisième paragraphe est organisé de sorte à déduire naturellement sa « difformité », mais aussi son aspect paradoxal : Quasimodo est grand par ses qualités. En effet, il est une « étrange exception », groupe nominal qui souligne son aspect hors du commun : malgré son absence d’harmonie, il est vertueux. Etymologiquement, le « monstrum » n’était pas un terme négatif, c’était justement un prodige. Il est « redoutable de vigueur, d’agilité et de courage » : cette fois-ci les compléments du nom sont mélioratifs. La comparaison « On eût dit un géant brisé et mal ressoudé » achève la description en insistant sur sa taille : la créature monstrueuse est imposante mais aussi grande moralement.
Troisième mouvement
Troisièmement, le narrateur décrit le face à face de Quasimodo avec la foule. C’est ce qu’annonce le complément circonstanciel de temps « quand cette espèce de cyclope parut sur le seuil de la chapelle ». La périphrase « cette espèce de cyclope » en fait une créature monstrueuse, inhumaine. Le passé simple « parut » indique une action de premier plan et unique. D’habitude, Quasimodo vit dans l’ombre, caché dans Notre-Dame. Les expansions du nom « immobile, trapu, et presque aussi large que haut, carrépar la base » permet au lecteur de se mettre dans la peau de la foule qui voit pour la première fois un tel être. Ensuite, l’oxymore « la perfection de sa laideur » accentue le caractère inédit, singulier, du personnage. La foule ne réagira pas de façon bienveillante et le narrateur se range du côté de Quasimodo en la qualifiant de « populace », substantif péjoratif. Il condamne donc l’attitude du peuple. Le groupe prépositionnel « d’une voix » montre qu’elle forme un bloc unanime lorsqu’elle crie des surnoms malveillants à Quasimodo. Les qualificatifs « borgne » ou « bancal » sont en effet péjoratifs. Le narrateur signifie sa pitié pour le personnage avec l’adjectif « pauvre » dans l’expression « pauvre diable » et nous prend à témoin avec le pronom « on » qui l’englobe ainsi que le lecteur. En renouant le lien avec le lecteur à la fin de la description, il l’amène à éprouver lui aussi de la compassion pour Quasimodo.
Conclusion
En conclusion, l'écriture extrêmement expressive de Victor Hugo est adaptée au personnage : elle donne à voir la monstruosité physique et la mise en écart de la société humaine du personnage. Cependant, on sent poindre une sorte de beauté chez Quasimodo plus intérieure qu’extérieure, qui suscite une forme d’admiration. S'allient le grotesque de l’apparence avec le sublime du caractère. C’est une esthétique que l'auteur romantique recherche car comme il l’écrit dans la préface de Cromwell : « Le beau n’a qu’un type ; le laid en a mille. »