"Une fleur", Marceline Desbordes-Valmore, 1834
"Une fleur", Marceline Desbordes-Valmore, 1834
Commentaire composé
Le romantisme marque au XIXe siècle le début d’une nouvelle approche de la sensibilité. L’individu et ses sentiments trouvent un lieu d’expression, notamment sous la forme poétique. Le poème “Une fleur” issu du recueil Les Pleurs, publié en 1834, décrit ainsi la passion amoureuse et la vive déception qu’elle peut provoquer. Dans les quatre quatrains composés d’alexandrins, le je lyrique s’adresse à son amant en employant l’image d’une fleur, symbole de la fragilité de l’amour et de la femme. En quoi ce dialogue décrit-il les tourments de l’amour à travers une métaphore filée
Premièrement, nous verrons que le je lyrique suit le fil de son histoire amoureuse, de l’amour naissant à la rupture finale. Or, c’est le caractère dialogique du poème qui permet de mettre en lumière la déception amoureuse. Tout d’abord, l’amante raconte l’histoire d’amour qu’elle a vécue, de son origine à sa fin.
Pour commencer, il s’agit d’un poème lyrique qui narre une déchéance amoureuse.
Le lyrisme est une tonalité souvent associée aux romantiques qui exprimaient leurs sentiments personnels dans leurs œuvres. Le poème est en effet écrit à la première personne : on retrouve le pronom personnel sujet “je” dans l’expression “je te trouvai cruel” et le pronom personnel objet “me” dans l’expression “tu me l’avais donnée”. De plus, plusieurs sentiments sont évoqués dans le texte, notamment l’amour dans le discours rapporté “Il t’aime !” ou encore la tristesse dans l’hypallage “sa cendre infortunée”. Au lieu de parler directement d’elle, le femme dit que c’est la cendre qui est malheureuse : cela permet d’exprimer son désespoir de façon plus douce. Enfin, le poème se construit dans un univers privé : l’injonction de tenir la fleur dans la première strophe “tiens-la, cette nuit, sur ton coeur !” intensifie le caractère intime du geste, suggérant une connexion profonde entre les deux amants.
Or, l’amour décrit est éphémère. Le champ lexical du feu (“cendre”, “flambeau”, “incendie”, “brûlant”, “ardente”) représente un amour qui va vers sa destruction. Le feu devient une allégorie de la passion, vive mais fugace. Par ailleurs, dès le premier vers, la fin est annoncée : la phrase “elle était belle encor !” contient l’adverbe encore qui laisse penser que la fleur ne sera pas toujours ainsi. Son aspect fragile est confirmé avec le troisième vers et le complément circonstanciel de temps “le soir”. C’est à ce moment qu’elle devient “cendre”. Cette délicatesse est soudainement interrompue par la main de l'être aimé, qui disperse la cendre de la fleur dans les airs. Ce geste, devient le point tournant du poème, symbolisant la rupture brutale de l'affection. En seulement une strophe, la fleur passe de son apogée à son anéantissement. Le je lyrique interprète cette transition comme un mauvais présage : “Et j’ai vu tout un sort dans ce rapide emblème”, vers 12. Le substantif “emblème”
donne un ton symbolique au poème : on comprend que l’aspect fugace de la fleur renvoie à la fragilité de l’amour et de la femme. Ce vers, avec le substantif “sort”, place aussi l’amour dans une destinée tragique : la fleur contient déjà en elle les graines d’une rupture douloureuse.
C’est pourquoi la passion est présentée comme un mal destructeur. Tout d’abord, l’oxymore “doux incendie” représente un état contradictoire : un amour intense mais négatif. Il semble que la passion soit à la fois plaisante et source de malheur. En effet, si l’on remonte à l’étymologie du mot “passion”, il s’agit en latin du fait de souffrir (patior). Surtout à la fin de la relation, l’amour devient douloureux. C’est ce que montre le vers “Symbole de l’ardente et folle maladie !”. A travers les adjectifs, on décrit l’amour comme étant brûlant comme une fièvre et si fort qu’il se rapprocherait d’une affection. Enfin la rime croisée “flambeau”/”tombeau” associe l’amour à la mort, la plus haute destruction.
Ainsi, nous avons montré que le je lyrique retrace son histoire d’amour, de ses débuts fragiles à sa fin terrible.
Cette déception amoureuse apparaît d’autant plus à travers la forme du dialogue.
Tout d’abord, le dialogue met en lumière le quiproquo, c’est-à-dire le malentendu, qui oppose les deux amants. L’impératif “Tiens-la, cette nuit, sur ton coeur !” souligne que le geste est un moment intime qui semble signifiant pour elle, même s’il ne l’est pas pour lui si l’on se fie au reste du poème. De plus, à travers les paroles rapportées dans l’expression “J’aimais cette fleur qui m’avait dit “Il t’aime”, on voit qu’elle le comprend comme un aveu d’amour alors que le reste du poème montre que l’amant ne l’aime plus et on se demande même s’il l’a vraiment aimée. Lui n’a pas vu la fleur comme un gage d’amour. Comme nous l’indique la rime embrassée “offense” / “sans défense”, la rupture est vécue comme une trahison : naïve, elle n’a pas pensé qu’il ne l’aimerait plus.
Par ailleurs, le dialogue permet d’insister sur la cruauté de l’amant. Le je lyrique s’adresse à lui directement à travers la deuxième personne du singulier et l’accuse de méchanceté au vers 9 : “Je te trouvai cruel”. L’aspect dialogique trahit également la relation de pouvoir entre les deux amants : la plupart du temps, le pronom “tu” est sujet alors que la femme se désigne sous le pronom objet “me” (“tu me l’avais donnée”, vers 1, “tu me regardais”, vers 6). L’amant a de l’ascendant sur elle. La première fois qu’elle reprend le pouvoir, c’est lorsqu’elle affirme la cruauté de l’amant au vers 9 en devenant elle-même sujet (“je te trouvai cruel”). Pour finir, l’amant est représenté comme quelqu’un qui rit du malheur des autres et y trouve même du plaisir : sa main personnifiée est “railleuse”, vers 3, on mentionne le “rire de [ses] yeux”, qui forme une antithèse avec les “pleurs silencieux” de la femme, vers 8 et 9. Ceux-ci révèlent la profondeur de la douleur intérieure. La rupture est provoquée par cette cruauté : “Tu riais d’elle… et moi je ne veux plus te voir”. Le moment où la narratrice découvre le rire dans les yeux de l'être aimé crée un tournant émotionnel significatif comme le montre les points de suspension. Le rire, qui d'abord montre la joie, change de signification lorsqu'il est perçu comme moqueur. La femme s'était investie émotionnellement dans cette fleur, qui lui avait murmuré l'amour, et elle ressent à présent une trahison. Ce poème révèle une transformation dans l'attitude de la narratrice. Le refus de recevoir des fleurs et la décision de ne plus voir l'être aimé sont des actes que l'on peut percevoir après la trahison.
Il apparaît finalement que le dialogue met face à face deux êtres opposés. Géographiquement, il sont l’un face à l’autre : “Tu me regardais à travers le flambeau”. Le complément circonstanciel de lieu représente une barrière métaphorique, l’obstacle qui le sépare et les séparera pour toujours. On lie définitivement dans la dernière strophe la fleur et la femme avec l’expression “Une femme, une fleur, s’effeuillent sans défense”. La métaphore filée entamée à la première strophe se termine. La femme apparaît innocente face à l’amant qui profite du fait qu’elle soit “sans défense”. Le regard, qui traditionnellement renvoie à la scène du coup de foudre amoureux, est cette fois-ci le signe de la fin : le champ lexical des yeux évolue de sorte à aller de l’union à la rupture totale, signalée par la négation finale (“tu me regardais”, “le rire de tes yeux”, “je ne veux plus te voir”).
Ainsi, le dialogue trahit l’incompatibilité des deux personnages qui s’éloignent de plus en plus.
En conclusion, en quoi ce dialogue décrit-il les tourments de l’amour à travers une métaphore filée ? Desbordes-Valmore retrace une histoire d’amour vouée à une fin destructrice à travers des images poétiques et un lyrisme doux. La fragilité des êtres est mise en regard avec la violence de la passion grâce au symbole de la fleur. C’est l’originalité du dialogue qui permet d’appréhender la complexité des relations amoureuses et de percevoir le regard de celle qui a été trahie. “Une fleur”, à travers l’article indéfini, prend finalement un caractère universel, renouvelant ainsi le motif traditionnel de la fleur qui apparaît notamment dans “Mignonne, allons voir si la rose” de Ronsard.